Au cours d’une conférence prononcée à Genève, le 15 février 1918, sous le titre “Un roman d’aventure : Le grand Meaulnes d’Alain-Fournier”, Jacques Rivière présentait ainsi le roman de son beau-frère publié cinq ans plus tôt dans cinq numéros successifs de la NRF, puis chez Émile-Paul. |
“... j’ai parlé jusqu’ici comme si vous aviez tous lu ce livre.
Bien que le succès en ait été grand, on est encore fort excusable
aujourd’hui de ne pas le connaître. On le serait moins de ne pas le lire après
en avoir entendu parler. Pour vous rendre la chose tout à fait impossible, je
voudrais vous en résumer la donnée et vous en faire comme goûter le parfum à
l’aide de quelques lectures.
La scène se passe dans le petit village de Sainte-Agathe dans le Berry. Les
parents de François Seurel y sont instituteurs ; son père dirige même un
Cours Supérieur où l’on prépare l’École Normale. François est un enfant
maladif et d’humeur un peu solitaire. Mais la vie est brusquement changée par
l’arrivée au Cours d’un grand élève, entreprenant et résolu, peu bavard
mais plein de goût pour l’action et pour l’aventure. C’est le grand
Meaulnes. François se lie presque tout de suite d’amitié avec lui. Le
village est assez éloigné du chemin de fer. Aux environs de Noël, François
est chargé par son père d’aller chercher à la plus prochaine gare dans une
voiture à âne ses grands-parents qui viennent passer quelques jours à
Sainte-Agathe. Cependant le grand Meaulnes apprend par hasard qu’on pourrait
gagner du temps en allant avec la carriole d’un fermier voisin jusqu’à
Vierzon où le train arrive bien plus tôt. Sans rien dire à personne, il se décide
à tenter l’entreprise ...
C’est ici que commence l’aventure. De Meaulnes on ne sait plus rien pendant
trois jours. La voiture dans laquelle il est parti a été ramenée par un
paysan qui l’a trouvée vide et errante au gré de son cheval. Meaulnes rentre
enfin au bout de trois jours, harassé, fripé, sali, farouche ; il ne répond
à aucune question.
Cependant Seurel finit par lui arracher son secret. Meaulnes s’est endormi
dans la voiture et s’est perdu. Après une nuit passée dans une bergerie
abandonnée et une journée où il a marché à travers champs sans rencontrer
personne, il est arrivé dans un domaine à demi-ruiné, où se donnait juste à
ce moment une fête étrange. Les enfants y faisaient la loi ; dans l’attente
des fiancés en l’honneur de qui elle se donnait, ils avaient organisé mille
jeux pleins de fantaisie et toute une mascarade démodée. Dans la chambre où
il s’était glissé par la fenêtre pour dormir, Meaulnes a trouvé tout ce
qu’il lui fallait pour se déguiser en jeune élégant de 1830. Sous ce
costume il a pu se mêler à la fête et, au cours d’une promenade en bateau
sur l’étang, il a rencontré une jeune fille merveilleusement belle dont il
s’est épris. Il a pu échanger quelques mots avec elle. Mais comme si le
charme en avait été mystérieusement rompu, voici que la fête tout à coup
s’est débandée. Les fiancés n’arrivant pas, les invités, pris d’une
sorte de panique ont commencé à s’en aller. Le hasard met Meaulnes
brusquement en présence d’un jeune homme. C’est le fiancé ; il est rentré
en cachette tout seul, la jeune fille qu’il aimait n’ayant pas voulu croire
en lui ni le suivre vers cette fête qu’elle a prétendue impossible. Il ne
fait que passer par le domaine ; Meaulnes seul l’y aura revu, car il
s’enfuit. Devant cette débâcle, il ne reste à Meaulnes qu’à partir lui
aussi. Une voiture le ramène à travers la nuit jusqu’aux environs de
Sainte-Agathe. Mais comme il s’y est endormi de fatigue, quand elle le dépose,
il ne sait pas plus qu’à l’aller par quel chemin il a passé.
Désormais tout l’intérêt du roman va consister dans la recherche de ce
chemin perdu. Meaulnes et Seurel, unis par leur secret, mettent en oeuvre toute
leur ingéniosité pour le retrouver. Un instant la fortune semble vouloir les
favoriser et leur rendre la piste. Des bohémiens sont venus à Sainte-Agathe.
L’un d’eux est un étrange garçon qui révolutionne tout le bourg. Il
organise avec l’aide des gamins du pays contre Meaulnes et François une sorte
de guerre. Un soir avec sa troupe il donne à la maison d’école un simulacre
d’assaut que la venue d’un paysan le force d’interrompre. Mais François
et Meaulnes sortis pour poursuivre les assaillants tombent dans une embuscade.
La paix ne tarde pas à se faire entre Meaulnes et le bohémien. C’est qu’il
y a entre eux des liens secrets qu’ils découvrent. Le bohémien a été lui
aussi dans le domaine merveilleux et il donne à son nouvel ami quelques
indications - d’ailleurs encore insuffisantes - sur la route qui y conduit.
Meaulnes pourtant ne le reconnaît que trop tard, qu’au moment où sans en
rien dire à personne, il s’apprête à s’enfuir. C’était Frantz de
Galais, le jeune fiancé de la fête, avec qui Meaulnes s’était rencontré le
soir de la débandade. Hélas ! il a décampé trop tôt ; Meaulnes n’aura
appris de lui que l’adresse à Paris de la jeune fille dont il est amoureux.
Muni de ce seul renseignement, Meaulnes laisse François et part pour Paris.
Mais à l’adresse indiquée il n’y a personne : la maison est vide. Meaulnes
reste dans la grande ville, oisif et désespéré, à la merci de toutes les
tentations. Et c’est François que le hasard, longtemps après, met tout à
coup sur la piste du domaine merveilleux. Il le retrouve sans aucune difficulté
; la jeune fille y est toujours ; il la voit ; il comprend qu’elle n’a cessé
de penser à Meaulnes. Le rêve de toute leur adolescence se résout ainsi en éléments
tout ordinaires, tout prochains, tout faciles à saisir.
Il semble qu’il n’y ait plus qu’à aller chercher Meaulnes et que
l’aventure soit finie. Mais Meaulnes, que Seurel en effet ramène, est étrangement
nerveux et rebelle ; il manque même de détruire par son humeur inexplicable le
bonheur que son ami lui a préparé et qu’il n’a plus qu’à cueillir.
Pourtant il se marie, son coeur sauvage semble dompté.
Hélas ! la chimère veille, l’esprit d’aventure et de rêve le guettent
encore. Pendant le séjour de Frantz à Sainte-Agathe, au moment où leur amitié
se nouait, lui et Meaulnes se sont mutuellement et solennellement juré
d’accourir au premier appel l’un de l’autre. Le soir des noces de Meaulnes
et d’Yvonne de Galais, du bois qui borde la maison, retentit l’appel de
Frantz...
Ils rentrent mais le lendemain, Meaulnes, avec le consentement de sa femme,
repart. C’est qu’à l’insu de François et d’ailleurs aussi d’Yvonne,
sa dette envers Frantz s’est alourdie. Pendant son séjour à Paris, il lui a
pris, sans savoir que c’était elle, sa fiancée, celle-là-même qui avait
manqué au rendez-vous des noces et de la fête étrange. Et maintenant il faut
qu’il répare sa faute, il faut qu’il la retrouve à tout prix, qu’il
l’empêche de se perdre complètement. Voilà le secret de sa fuite.
C’est François qui le découvre en ouvrant par hasard un cahier qui est le
journal de Meaulnes pendant son séjour à Paris. Mais hélas ! dans
l’intervalle les événements ont marché. La jeune femme que Meaulnes a quittée
est devenue mère ; mais dans des conditions si difficiles qu’elle en est
morte. Meaulnes en ramenant bien plus tard Frantz et sa fiancée, ne retrouvera
plus que sa petite fille que François lui a gardée et qu’il a élevée pour
lui.
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