Alain-Fournier 
à l’abbaye Sainte-Marie-du Désert
 et à Cambo-les Bains

 

 

 

Alain-Fournier à l’abbaye de Sainte-Marie-du-Désert (14-15 septembre 1911)

Alain-Fournier à Cambo-les Bains (1913-1914)

 

Texte de Michel Baranger

 

 

 

ALAIN-FOURNIER
à l’abbaye de Sainte-Marie-du-Désert
(14-15 septembre 1911)

Texte de Michel Baranger


Henri Fournier, qui allait, deux ans plus tard, devenir célèbre en publiant Le Grand Meaulnes, sous le demi-pseudonyme d'Alain-Fournier, a séjourné un soir et une nuit à l’abbaye Sainte-Marie-du Désert, en 1911. Il allait avoir vingt-cinq ans et, depuis dix-huit mois, il avait déjà acquis une certaine notoriété comme chroniqueur littéraire à Paris-Journal et comme auteur de quelques nouvelles. La dernière intitulée “Portrait”, évocation d’un de ses anciens camarades du lycée de Brest, venait de paraître dans le numéro de Septembre de La Nouvelle Revue Française. Cette publication lui valut un chaleureux billet de Péguy, reçu le matin même de son départ de l’abbaye.

Sous-lieutenant de réserve, Fournier avait été rappelé, fin août, pour une période militaire de quatre semaines au 88e Régiment d’infanterie de Mirande. C’est au cours des manœuvres du 17e Corps d’armée entre Auch et L’Isle-Jourdain qu’il fit étape, dans la soirée du 14 septembre à Sainte-Marie-du Désert. Eu égard à son grade d’officier, il y fut logé dans une chambre de l’hôtellerie, tandis que ses hommes devaient cantonner dans des granges voisines. Il écrira, le lendemain, à Francis Jammes qu’avant de se coucher, il s’était “glissé dans une tribune de la chapelle” et avait “écouté Complies dans l’obscurité profonde.”

Ce n’était pas la première fois qu’Henri Fournier franchissait la porte d’un monastère. En décembre 1908, alors qu’il suivait le peloton des élèves-officiers à la caserne Corbineau de Laval, il avait pu s’échapper un dimanche pour visiter l’abbaye de Port-du Salut. Cette visite avait dû le marquer fortement, puisqu’il en reparlera à plusieurs reprises dans ses lettres ultérieures : quelques jours plus tard, il écrivait à son ami René Bichet :

Abbaye Sainte Marie du Désert

 31530 Bellegarde Ste Marie

 


“N’as tu jamais eu ce désir de grand lassitude : Se voiler à jamais le visage, comme les Carmélites, je crois ; ce visage humain où se reflètent tout l’amour et toute la gloire. Renoncer pour toujours à tout amour et à toute gloire : Repos plus délicieux que le Paradis, plus terrible et plus irrévocable que l’Enfer, et tentation plus grande que toutes.”

Au printemps de 1909, affecté à la garnison de Mirande (Gers), il s’était mis à relire chaque soir, la Bible, l’Évangile de Jean en particulier ; ses lettres de l’époque sont pleines d’effusions mystiques, sur l’amour de Marie-Madeleine ou les pèlerinages de Lourdes, par exemple. Il avoue à Jacques Rivière que “la question chrétienne ne cesse de le torturer” et même qu’il est “tenté par cette existence monstrueuse des religieux”. Rentré à Paris, il s’était rendu souvent à la chapelle des Bénédictines de la rue Monsieur et y avait entraîné sa sœur et son beau-frère. Sans pour autant, pas plus que Huysmans et Claudel, choisir la voie monastique ; sa brève destinée devait être tout autre.

Deux lettres d’Alain-Fournier mentionnent son bref passage à l’abbaye, les 14 et 15 septembre 1911 : une carte postale adressée à Jacques Rivière, son ami et beau-frère et une lettre à Francis Jammes, chez lequel il avait fait le projet de se rendre à Orthez à l’issue de cette période militaire ; ce projet fut remis “à une époque meilleure”, Fournier ayant reçu “des nouvelles inquiétantes de (s)a sœur et de (s)a petite nièce Jacqueline Rivière”, née le 23 août. Nous reproduisons ci-dessous le texte de ces deux documents.


1. Carte postale adressée à
Monsieur Jacques Rivière
Professeur
15 . rue Froidevaux . 15
Paris (XIV)
Samedi 16 septembre 1911

- Les manœuvres ont fini ce matin. J’ai
couché cette nuit chez les Trappistes, à
la fenêtre marquée
x . Demain matin
embarquement pour Mirande. Lundi,
Jammes sans doute et Mardi, La
Chapelle
(- d’Angillon, NDLR).
- J’ai reçu de Péguy hier matin, ce curieux
petit mot daté du 8 septembre ;
“Je viens de lire votre “Portrait”. Vous
irez loin, Fournier. Vous vous rappellerez
que c’est moi qui vous l’ai dit. Je suis
votre affectueusement dévoué, Péguy”
A bientôt, mes chéris. Que j’ai
hâte de vous embrasser! Henri.


2. Lettre adressée à Francis Jammes


Mardi 25 septembre 1911

Cher Monsieur,

Je vous retourne selon votre désir, une partie du “dossier des malentendus”.
Vous ne sauriez croire combien je suis confus de cette folie du vagabondage qui m’a fait manquer vos lettres et votre télégramme.
Combien je suis confus aussi de votre bonté.
Je vous renvoie volontiers ma carte postale. C’est un souvenir des Religieux. Je vous l’avais écrite à la Trappe de Sainte-Marie-du Désert où j’ai couché, une nuit de grandes manœuvres. Au soir, je me suis glissé dans une tribune de la chapelle et j’ai écouté Complies dans l’obscurité profonde.
Rivière a été bien ému de ce que vous lui avez dit de sa petite fille et de la vôtre.
Ma sœur Isabelle a été en grand danger, toute une nuit. Elle a été sauvée par un ange au grand corps maigre et penché qui s’est montré soudain près de son lit à minuit, malgré les règlements - et qui s’appelle sœur Calixte.
Je voudrais savoir vous dire, cher Monsieur, la grande affection que nous avons tous ici pour vous et pour les vôtres.
Je suis votre respectueusement dévoué
Alain-Fournier


ALAIN-FOURNIER

à Cambo-les Bains

(1913-1914)

 

 

 

Alain-Fournier, l'auteur du Grand Meaulnes, a séjourné plusieurs semaines à Cambo-les-Bains, d'abord au cours de l'été 1913, puis à la fin du mois de juillet de l'année suivante, juste avant la Grande Guerre.

 

En 1912, après avoir acquis une certaine notoriété comme chroniqueur littéraire à Paris-Journal et comme auteur de quelques nouvelles, il était devenu secrétaire de Claude Casimir-Perier. Celui-ci était le fils de l'éphémère president de la République (1894-1895) et il avait épousé, en 1910, Pauline Benda, une actrice déjà célèbre sous le nom de Simone, qui avait créé le rôle de la Faisane dans la pièce d'Edmond Rostand Chantecler. Claude Casimir-Perier préparait alors la publication d'un gros rapport sur les relations maritimes et postales entre la France et l'Amérique, qui allait aboutir à l'édition chez Hachette d'un livre en deux volumes, intitulé Brest, port transatlantique européen ; et il avait embauché pour l'aider, en mai 1912, le jeune journaliste littéraire que lui avait présenté leur ami commun, Charles Péguy.

 

Très vite, le jeune secrétaire s'était mis également à la disposition de la belle actrice, Simone, partie en tournée aux États-Unis ou en Angleterre. En 1913, il était devenu un ami de la famille, souvent invité dans leur maison de campagne de Trie-la-Ville, recevant le baptême de l'air au Crotoy, dès le le mois de juin 1912. Les relations amicales entre Pauline et Henri s'étaient muées au fil des mois en véritable liaison amoureuse, malgré la différence d'âge et de situation, d'autant que le mari se révélait de plus en plus volage ; tout naturellement, Alain-Fournier fut invité à Cambo, où les Perier louaient chaque été la Villa Souberbielle, une belle maison de maître entourée d'un grand parc et toute proche de la Villa Arnaga, où vivait Edmond Rostand et sa famille. Il y fit deux séjours : du 25 août au 11 septembre 1913 et 20 juillet au 2 août 1914 ; il y commença  son second roman "Colombe Blanchet", qui devait rester inachevé.

 

C'est de là que, conduit en auto par Simone, il rejoignit sa garnison de Mirande (Gers), le jour de la mobilisation, sans repasser par Paris. On sait qu'il devait disparaître sept semaines plus tard, près de Verdun.

 

Plusieurs lettres et cartes postales envoyées par lui de Cambo ou du front et relatant ces deux séjours ont été conservées. Nous en donnons ci-dessous quelques extraits.

  

1. Lettre adressée à sa soeur Isabelle Rivière

 

Cambo, mardi (26 août 1913)

 

Je vais mieux. (...) Jacques avait dix mille fois raison de dire que ce voyage allait me remettre d'aplomb.

Il fait ici un calme invraisemblable. On ignore les Rostand.

La maison est pleine d'échos campagnards. Je suis heureux autant qu'on peut l'être.

(...) J'ai de belles idées qui s'organisent peu à peu pour Colombe1

 

2. Lettre adressée à Jacques Rivière

 Vendredi 29 août 1913

               (...) Cambo ne prend pas d'accent circonflexe ni Perier d'accent aigu.

            Nous aurons Guinle2 lundi après-midi, entre les courses dimanche à Saint-Sébastien et de mardi à Dax.

            Nous avons fait ces trois jours derniers de charmantes promenades en voitures à chevaux dans les villages basques d'alentour : un des plus beaux est Itxassou, avec un fronton qui s'adosse à la montagne.

  

3. Carte postale adressée à Jacques Rivière

           représentant l'entrée du Pas de Roland                                   

Jeudi (4 septembre 1913)

 (...) J'ai vu déjà deux corridas (...) une à Saint-Sébastien et l'autre à Dax.. C'est vraiment très attachant.

Guinle est venu ici. Il a été fort gentil. On lui disait mille blagues à propose de Ganelon.

  

4. Carte postale adressée à Charles Péguy

           représentant  l'église de Cambo                              

(début septembre 1913)

             Nous avons lu sur le cadran solaire cette inscription : dubia omnibus, ultima multis.3

            Et nous avons, malgré lui, prié pour Péguy dans cette belle église de campagne.

                                                Alain-Fournier          Simone

  

5. Lettre adressée à Émile-Paul

 Villa Souberbielle

Cambo-les-Bains

Basses-Pyrénées                           

31 juillet 1914

       (...) Je travaille beaucoup, malgré toutes les inquiétudes présentes. Mais comment penser à des aventures fantastiques lorsqu'on attend d'une heure à l'autre l'ordre de mobilization.

      Il n'empêche que je compte bien vous apporter Colombe Blanchet au mois d'octobre si nous ne sommes pas tous dans l'Est à cette époque.

  

6. Lettre adressée à Simone

20 août 1914

       (...) Quand retrournerons-nous dans la montagne, au fond des Aldudes, la-bas, tu sais ?

(...) Ah! je regardais Cambo, l'autre jour en sortant de la pension des officiers, sur la carte qui est dans le couloir. Ah! Il me semblait que ce tout petit nom dans le bas de cette carte, c'était le nom de ma patrie.

 

 

1 Colombe Blanchet, le roman qu'il avait entrepris, inspiré par ses souvenirs de garnison à Mirande en 1909.

2 Alexandre Guinle, originaire de Tarbes et très musicien, avait été leur condisciple au lycée Lakanal entre 1904 et 1906 et était resté leur ami.

3 "Les choses incertaines pour tous, les dernières pour beaucoup".

 

 

 


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Page créée le 13 janvier 2005

Page mise à jour le 13 janvier 2005




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